" Le numérique est l'angle mort de nos politiques environnementales "

Rédigé le 29/01/2021
Démo Appli


Vous avez présidé la Mission d’information sur l’empreinte environnementale du numérique. Dans votre Rapport, vous mentionniez le chiffre de 15 millions de tonnes équivalent CO2 (tCO2eq) d’émissions par le numérique français en 2019, pour un coût évalué à plus d’un milliard d’euros. Les chiffres que vous avez rendu public ont-ils été une surprise pour vous ?

Nous avons surtout été étonnés de nous rendre compte, au début des travaux de la Mission d’information, que si les chiffres permettant de mesurer l’empreinte environnementale – et, plus spécifiquement, l’empreinte carbone - du numérique au niveau mondial, commençaient à être plutôt bien étayés (on parle
d’environ 3,7 % des émissions mondiales totales de gaz à effet de serre), ils restaient en revanche très parcellaires au niveau national. Et pour cause, aucune politique publique spécifique ne s’attache aujourd’hui à réduire l’empreinte environnementale du secteur du numérique, pourtant en expansion continue ! C’est un véritable angle mort de nos politiques environnementales. Le plus urgent était donc de pouvoir disposer d’éléments chiffrés, solides, sur l’empreinte carbone du numérique en France, ses particularités par rapport aux tendances mondiales et surtout, son évolution à l’horizon 2040. C’était un préalable indispensable, afin d’identifier les leviers d’action les plus pertinents pour mettre en oeuvre une politique publique de transition numérique écologique. On ne peut pas agir sans cette connaissance fine.Vous évoquez l’un des principaux résultats auxquels nous sommes parvenus, à savoir, un poids actuel de 15 millions de tonnes équivalent CO2 émises par le numérique français. Mais le chiffre le plus important, à mes yeux, est, précisément, l’évolution de ce poids : s’il représente aujourd’hui 2 % des émissions totales nationales, il pourrait en représenter 7 % en 2040, si rien n’est fait pour le réduire et si tous les autres secteurs réalisent des économies de carbone conformément aux engagements de l’Accord de Paris. C’est considérable et c’est bien plus que ce qu’émet aujourd’hui le transport aérien !

 

Quelles sont les mesures emblématiques que vous préconisez pour faire prendre conscience aux utilisateurs du numérique - Pouvoirs publics, entreprises et particuliers - de son impact environnemental et pour les inciter à le réduire ?

Une meilleure connaissance et une meilleure information sont, tout d’abord, indispensables, pour tous les utilisateurs, afin de prendre vraiment conscience de l’impact environnemental de leurs usages et de leurs achats. Surtout en ce qui concerne les smartphones, les écrans, les tablettes, etc, tous les terminaux dont on sait que la fabrication est responsable de plus de 70 % du total des émissions du numérique français ! Une grande campagne de sensibilisation est donc nécessaire pour diffuser les gestes éco-responsables ou encore, inciter au recours à des appareils reconditionnés. Notre mission a également proposé le déploiement d’un outil concret et pratique : une application permettant à tout utilisateur de calculer l’empreinte carbone individuelle de ses terminaux et de ses usages numériques. Les professionnels, également, doivent être en mesure d’évaluer l’impact environnemental de leurs projets de numérisation : une base de données publiques est donc indispensable ! Nous avons, enfin, fait des propositions qui ont trait à la formation : il existe parfois un fossé entre une très grande conscience et implication des nouvelles générations sur les enjeux climatiques et environnement aux et, de l’autre, la réalité de leurs usages numériques. La sobriété numérique doit être un enjeu de l’éducation à l’environnement à l’école : c’est uniquement ainsi que l’on changera les mentalités et que l’on permettra l’émergence d’une véritable « culture de la sobriété numérique ».

 

La France peut-elle, selon vous, devenir un véritable leader dans ce combat au niveau européen ?

Oui bien sûr, que ce soit en matière de solutions exemplaires et innovantes, en matière d’éco-conception des services numériques ou encore, de centres informatiques écologiquement performants (la faible carbonation de l’électricité française est un vrai atout !). 

Les data-centers peuvent d’ailleurs constituer un levier majeur de flexibilité locale pour stocker l’électricité des installations d’énergies renouvelables intermittentes.

 

Face à ce constat, les vertus écologiques du papier sont de nouveau reconnues (support naturel, renouvelable et recyclable). Quel rôle l’imprimé peut-il tenir dans l’après Covid et de quelle manière pensez-vous qu’il puisse participer pleinement à la reprise ?

La crise que nous traversons ébranle, plus que jamais, les fondements de notre modèle de développement
économique et les fondamentaux de nos sociétés. Si nous ne changeons pas radicalement, nous allons finir par détruire notre planète. Nous avons récemment examiné et adopté la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’écon omie circulaire : la crise est une opportunité pour sortir de la société du tout jetable et aller enfin vers un modèle plus vertueux et plus respectueux de nosressources. À l’heure où l’on se
rend compte de l’ampleur de la « pollution numérique », qui risque d’exploser si nous ne faisons rien, le papier doit, plus que jamais, « re-jouer » un rôle essentiel. La culture, l’éducation, l’information, la communication, la publicité, autant de domaines dans lesquels doivent cohabiter, demain, l’imprimé et le numérique durable. Il serait complètement idiot de vouloir opposer ces deux médias. Ils sont indispensables l’un et l’autre. La clé, c’est de chercher comment rendre cette complémentarité écologiquement soutenable.
Le papier est bien plus avancé que le numérique sur ce sujet : aujourd’hui, c’est d’ailleurs, de loin, le gisement le mieux recyclé en France et, pour aller plus loin, rappelons que la récente loi « économie circulaire » a permis d’harmoniser les consignes de tri des déchets d’emballages et de papiers graphiques sur tout le territoire.

Propos recueillis par
Patricia de Figueirédo